Résumé
Hanoï de nos jours, Lien (Tran Nu Yen Khe), 23 ans, travaille comme serveuse dans le café qui appartient à sa soeur aînée Suong (Nguyen Nhu Quynh). Elle partage un appartement avec son grand frère Hai (Ngo Vu Quang Hai) qui est acteur. A l'occasion de l'anniversaire de la mort de leur mère, Lien, Hai et la soeur cadette Khanh (Le Khanh), se retrouvent chez Suong pour célébrer cet événement. Tout au long de cette journée, on voit une grande complicité entre les trois soeurs qui semblent tout se dire et se consulter sur tout. Pourtant chacun a son secret…
CRITIQUE :
Dernier film en date de Tran Anh Hung, A La Verticale de L'Eté nous emmène dans un voyage social fascinant. Tiré d'une idée simple, le réalisateur s'en rappelle :
" Un souvenir: la sieste.
Longtemps après, guidé par ces premières impressions, un cheminement naturel et sans effort me ramène aux siestes de mon enfance.
Des heures de rêverie. Des heures lénitives. Des après-midi brûlants et immobiles, bercés par le bruissement des insectes, enivrés par l'odeur des caramboles pourries tombées au pied de l'arbre. Une petite inquiétude s'est logée au fond de mon cœur: mes parents ont eu des mots. Pourtant, de leur histoire, je ne connais que des récits d'événements harmonieux."
A travers la recherche d'une histoire d'amour vécu autrefois par leur grand-mère, Tran Anh hung, tel un sociologue, analyse avec retenu les relations familiales, notamment entre sœurs.
Trois sœurs se retrouvent face à leurs secrets, à des étapes importantes de leurs vies :
Le mari de Suong, photographe de métier, parcourt le pays afin de recenser des espèces végétales inconnues. Son absence au sein du cocon familial perturbe l'équilibre du couple et cache une cicatrice profonde. Lien, en pleine indécision amoureuse, cherche un mari à l'image de son frère avec lequel elle entretient une relation ambiguë.
Enfin Kïen, le mari de la sœur cadette Khanh, est écrivain et travaille à la maison. Un voyage à Saïgon l'éloigne deux jours de Hanoï où il rencontre alors une femme d'un soir…
Entre anciens amants, nouvelle idylle et enfants cachés, Tran Anh Hung nous délecte de ces moments précieux et de ces souvenirs d'une vie quoditienne à Hanoï :
" Hanoï est le seul lieu que je connaisse qui me donne la sensation que les relations entre les hommes et les femmes peuvent profiter d'une réelle nonchalance. Alors que j'étais immergé dans le chaos de Cyclo, j'ai entrevu la possibilité d'une harmonie à Hanoï. J'ai su que je devais un film à cette ville. "
Ces instants de quiétudes, ces petits secrets et cette harmonie intemporelle sont l'essence même du parfum mélancolique du film …
Servit par des décors somptueux, A La Verticale de l'Eté réussit, comme l'était Cyclo, à subjuguer nos rétines et nos mémoires. Cela fut possible notamment grâce au travail du directeur photo d'In The Mood For Love, présent aux côtés du réalisateur.
Autre flèche à son arc, Tran Anh Hung sublime son long métrage par une magnifique bande originale dont deux morceaux de Lou Reed (Corney Island Baby et Pale Blue Eyes) à des moments magiques. Le cinéaste en explique son utilisation :
" Je souhaitais une musique qui serait comme un état d'âme vague et poignant, une vision attendrie du drame humain qui se déroule sous nos yeux. Par moments, elle vient non pas rehausser l'action, mais pour jeter un regard bienveillant, plein d'humanité sur les personnages emportés dans leurs problèmes irrésolus. La musique ne colle pas à l'action, elle la commente, la confirme, la contemple, exprime un point de vue sur l'existence Pendant l'action, la musique regarde. Après l'action, elle dit son émotion et la fait partager. Elle est l'expression de la beauté d'âme du spectateur et purifie son regard. Les chansons vietnamiennes et anglo-saxonnes ont un autre statut dans le film. Avec leur développement progressif et lent, et la répétition de certains morceaux, elles participent à la création d'un rythme qui ralentit le temps jusqu'à l'immobilité. "
Munit d'un tel écrin, À la Verticale de L'Eté en devient inoubliable. Une chaleur omniprésente, un rythme lent, de longs plans séquences : la recette du réalisateur est aujourd'hui connu et reconnu. Son talent singulier, son pouvoir d'arrêter le temps sur pellicule, son attachement au perfectionnisme visuel et musical en font le cousin vietnamien de Hou Hsiao Hsien, Shunji Iwai et Wong Kar Wai.
Ajoutez encore la participation de Tran Nu Yen Khe (sa femme à la ville), superbe de beauté, de talents, et vous avez devant vos yeux une œuvre essentielle.
En seulement trois films, Tran Anh Hung est devenue le représentant d'une cinématographie vietnamienne passionnante. C'est donc avec intérêt et impatience que nous attendons son prochain bijou, dont Harvey Keitel serait le héros principal.